Mais elles ont tout aussi incontestablement reçu le renfort du ministre palestinien des Affaires étrangères.
Juriste scrupuleux, Gilles Devers, qui n’a pas eu l’heur d’assister
aux entretiens à huis-clos entre le ministre palestinien et la
Procureure, lesquels ont débouché sur une annonce de non-recevabilité de
la plainte, s’abstient de l’écrire textuellement. Il se contente de
qualifier de « regrettable » la démarche du ministre à La Haye, et de
lui poser des questions qu’il qualifie, et c’est là une litote, de
« lourdes ».
A CAPJPO-EuroPalestine, nous n’aurons pas ces précautions de langage.
Disons-le clairement : l’Autorité, qui joue la carte de la
collaboration depuis tant et tant d’années sans pour autant avoir
arraché la plus petite concession (autre que pour ses propres prébendes)
à Israël, a une fois de plus cédé aux pressions israéliennes. A preuve,
s’il en fallait une de plus : quatre jours après que la Procureure de
la CPI a annoncé le rejet de la plainte, on n’a toujours pas entendu un
mot de protestation en provenance de Ramallah. C’est beaucoup quatre
jours, dans le contexte actuel, non ?
Personne n’est obligé de nous croire sur parole. Mais toutes celles
et ceux qui prétendent s’intéresser à la cause du peuple palestinien, et
plus particulièrement à la lutte pour faire appliquer le droit
international, auront alors à cœur de lire le compte-rendu publié par
Maître Gilles Devers samedi matin, et d’appuyer sa demande pour que nous
continuions à exercer des pressions pour que cette plainte aboutisse.
Le voici :
09/08/2014
Les crimes d’Israël devant la CPI : Nous sommes près du but ; ce qu’il reste à faire
J’écris ces lignes alors que les 1,8 millions d’habitants du
territoire palestinien de Gaza vivent dans les plus grandes difficultés,
et les plus grandes incertitudes. Le bilan provisoire est de 1800 morts
et plus de 6 000 blessés graves, dont 85% de civils.
L’électricité est là quelques heures par jour, l’eau manque, et le
pays est en ruine. Les familles pleurent leurs morts. Venus s’occuper de
tunnels, les soldats israéliens ont rayé de la carte des quartiers
entiers et détruit des infrastructures essentielles à la population
civile (hôpitaux, écoles, centrale électrique…). Rien de significatif ne
se dégage sur le blocus de Gaza, qui est en lui-même un crime de
guerre.
Alors, est-ce le moment de parler de la procédure quand l’idée d’un
procès semble à des années lumières des besoins urgents d’un peuple qui
demande seulement à vivre ?
Oui, c’est le moment. D’abord, car nos amis Palestiniens nous le
demandent. Ensuite, parce que nous n’avons jamais été aussi près du
but : combattre l’impunité d’Israël devant une juridiction
internationale.Le ministre de la justice Saleem Al-Saqqa est clair : la
procédure doit se poursuivre.
Où en est-on ?
L’action juridique est un relais de la Résistance palestinienne, et
elle ne s’arrêtera pas. Pour des raisons sur lesquelles nous
reviendrons, la plainte engagée au nom du Ministre de la Justice de
l’Etat de Palestine et du Procureur général de Gaza a été rejetée par la
Procureure de la Cour pénale internationale. Mais ce n’est qu’une toute
petite étape au regard de ce qui été fait et de ce qui sera fait. Notre
détermination est intacte.
En synthèse ?
Voici en synthèse le bilan :
1/ La plainte déposée le 25 juillet 2014 a été classée par la
Procureure. C’est une mesure, illégale sur la forme comme sur le fond,
et qui, quoiqu’il en soit, n’a pas d’autorité de chose jugée ;
2/ La motivation retenue par la Procureure est une aberration juridique, qui n’est partagée par aucun Professeur de droit ;
3/ L’unanimité des Professeurs de droit a dit que la Palestine peut
donner compétence à la Cour pénale internationale par une déclaration de
compétence (art ; 12.3) ;
4/ Du fait de cette plainte, s’est créé un consensus dans la classe
politique palestinienne pour se décider à ratifier le Statut de la CPI,
et c’est là une immense avancée, qui change tout ;
5/ La procédure engagée était parfaitement valable car elle
comprenait une dénonciation de faits (Art. 15.1) et une déclaration
confirmative de compétence (Art. 12.3) par le ministre de la justice ;
6/ La visite du Ministre palestinien des affaires étrangères,
M. Al-Malki, au siège de la CPI le 5 aout 2014, reste un épisode
regrettable car la plainte qui était en cours auparavant ne l’était plus
après ;
7/Cette étape laissera inévitablement des traces, car il était très
facile de contourner l’obstacle levé par la Procureure, mais les forces
lancées sont telles que tôt ou tard, la CPI sera saisie du dossier des
crimes commis en Palestine.
8/ Si la Procureure trouve un nouvel échappatoire pour rejeter la
demande du peuple palestinien, elle aura porté un nouveau coup, cette
fois fatal, à la CPI, qui est déjà au cœur de bien des critiques.
9/ Le mouvement Hamas, décrété terroriste en Europe, s’en remet à la
justice, alors qu’Israël la refuse, et que les pays occidentaux tente de
barrer la route à la Palestine. C’est tout un pan de propagande qui
s’écroule sous nos yeux, et qui change toute la donne au Proche-Orient.
2
Quelle procédure a été engagée ?
Monsieur Saleem Al-Saqqa, Ministre de la Justice de Palestine et
Monsieur Ismail Jabr, Procureur Général de la Cour de Gaza ont, le 25
juillet 2014, déposé une plainte fondée sur l’article 15.1 du statut
auprès de Madame Fatou Bensouda, Procureure près la Cour pénale
internationale, concernant les crimes de guerre commis par l’armée
israélienne en juin et juillet 2014 en Palestine, dans le contexte de
l’opération militaire appelé « Bordure protectrice ».
La plainte visait les infractions suivantes, qui sont toutes des crimes de guerre définis par le statut de la CPI :
• Homicide intentionnel
• Attaques portées contre des civils
• Attaques causant incidemment des pertes en vies humaines, des blessures et des dommages excessifs
• Destruction et appropriation de biens
• Crime de colonisation
• Crime d’apartheid
• Violation des règles du procès équitable
Dans leur plainte, Monsieur Saleem Al-Saqqa, Ministre de la Justice
de Palestine et Monsieur Ismail Jabr, Procureur Général de la Cour de
Gaza ont demandé à Mme la Procureure de saisir la chambre préliminaire
de la Cour pénale internationale pour qu’elle autorise l’ouverture d’une
enquête sur les crimes commis à Gaza.
Quatre jours plus tard, a été adressée au bureau du procureur la
déclaration confirmative de compétence. C’est le schéma qui avait été
suivi pour l’affaire Gbagbo. Nous avons donc respecté ce précédent.
La procédure était-elle régulière ?
Elle l’était parfaitement, et elle le reste.
Pour accepter un Traité, un Etat doit le signer et le faire ratifier
par son parlement. La Palestine ne l’a hélas pas fait. La procédure que
nous avons engagée a montré que c’était une posture intenable, et il y a
désormais un consensus pour le faire, ce qui est un acquis
considérable.
Donc, c’est juste une question de temps, et bien sûr, le plus tôt sera le mieux.
Mais le statut prévoit un mode dérogatoire : un gouvernement peut
donner compétence à la Cour par une simple déclaration. C’est ce
qu’avait fait le ministre de la justice de Palestine en janvier 2009, et
c’est ce que nous avons fait ce mois de juillet 2014, par une
déclaration confirmative.
On dit que c’était voué à l’échec car c’était une démarche personnelle ?
Ceux qui disent cela parlent sans savoir. Ils n’ont pas lu les actes
de la procédure, et n’ont pas cherché à me contacter. Je me contenterai
de dire que la plainte et les mandats ont bien été signés au nom de
l’Etat de Palestine, par les autorités compétentes en droit interne. Ces
pièces sont désormais publiques.
On dit que le ministre de la justice n’avait pas compétence...
En janvier 2009, c’est le Ministre de la Justice qui avait saisi la
CPI, et personne n’avait critiqué cela. En 2014, le Ministre palestinien
de la justice en exercice a saisi la CPI en sa qualité d’autorité
gouvernementale. En 2014 comme en 2009, le ministre a agi en engageant
le gouvernement. Je n’ai lu aucune déclaration officielle disant le
contraire.
En novembre 2009, l’assemblée générale de l’ONU a demandé à chaque
partie – Israël et la Palestine – de juger les crimes de Plomb Durci.
C’est dire que l’AG ONU avait reconnu l’existence du pouvoir
juridictionnel de la Palestine. Aussi, le Procureur général de Gaza, qui
ne pouvait envisager un procès à Gaza, était parfaitement en droit de
dénoncer les faits auprès de la CPI, ce qui est conforme au principe de
complémentarité prévu par le Statut de Rome.
J’ai pu lire également que le Procureur général ne pouvait donner
compétence à la Cour. Cette critique est à nouveau sans objet car deux
actes ont été faits, conformément à la règle :
- une dénonciation des faits, signée par le ministre et le procureur ;
- une déclaration confirmative de compétence, signée par le ministre.
Tout est donc très clair.
La Palestine n’a pas ratifié le traité de la CPI. Et Israël non plus…
Le fait qu’Israël n’ait pas ratifié le statut n’est pas un problème car
la compétence de la Cour est liée au lieu de commission des crimes.
Depuis la déclaration de compétence de 2009, la compétence de la CPI est
donc acquise pour les crimes commis sur le territoire de l’Etat de
Palestine.
3
Le communiqué de rejet de la Procureure
La Procureure affirme dans un communiqué du 5 août que cette
déclaration de 2009 ne serait plus valable car la Palestine a été
reconnue comme Etat observateur non membre de l’ONU en novembre 2012.
Elle est la seule à tenir ce type de raisonnement et ne l’explique pas.
C’est de plus un excès de pouvoir. Seule une décision de la Cour
pourrait dire cette procédure nulle… mais la cour n’a jamais été saisie
par la Procureure…
C’est tout le problème de l’action de la Palestine devant la Cour
pénale internationale. Depuis le début de la procédure en 2009, le
bureau du Procureur fait de la rétention en s’accaparant le pouvoir des
juges. Or, c’est à eux – et à eux seuls – qu’il appartient de dire si la
Cour est compétente, et donc de trancher la question de la validité de
la déclaration de compétence du 22 janvier 2009.
L’analyse est certaine car elle se fonde sur un principe cardinal du
droit du contentieux international. C’est le principe
« kompetenz-kompetenz ». Seuls les juges – et non le Bureau du Procureur
qui n’est que l’organe de poursuite de la Cour – ont le pouvoir de
décider si la Cour est compétente pour juger les crimes commis à Gaza.
Bien entendu, la plainte s’appuie sur ce principe fondamental et le
Bureau du Procureur devra tôt ou tard se justifier devant la Cour et
expliquer pourquoi il a délibérément décidé de l’ignorer.
Le Ministre palestinien des affaires étrangères, M. Al-Malki, venait de rencontrer la Procureure. Que s’est-il passé ?
Chacun espère que le Ministre palestinien des affaires étrangères
expliquera ce qui s’est passé dans le bureau de la Procureure, car les
questions sont lourdes… On ne peut pas rester dans le non-dit.
Pour dire que la Cour ne serait pas compétente, la Procureure
explique que la déclaration de compétence de 2009, confirmée par le
ministre de la justice en 2014, n’est plus valable car la Palestine est
reconnue Etat observateur à l’ONU en 2012. Si c’est vraiment ça
l’argumentaire, il suffisait de refaire une nouvelle déclaration de
compétence au greffe de la Cour, qui aurai aurait rétroagi à 2012, et
donc validait la procédure.
Attendons des déclarations explicites, car à ce stade, c’est incompréhensible, et ce qui s’est passé est très choquant.
La décision de la procureure est-elle un obstacle définitif ?
Non. La Procureure a clairement excédé les pouvoirs que lui confère
le Statut. Le bureau du Procureur est un organe de poursuite de la Cour,
et ce n’est pas à lui de déterminer si la Cour est compétente. Comme je
l’ai déjà expliqué plus haut, c’est une compétence de la Cour. Je pense
qu’il y a eu de la précipitation. Il faut maintenant revenir au respect
des textes.
Y a-t-il eu dialogue avec la Procureure ?
Non. Nous lui avons écrit à deux reprises pour obtenir un
rendez-vous, et organiser le travail pour la bonne suite de cette
plainte. Elle ne nous a pas répondu, ce qui finit d’enlever toute valeur
à sa décision. Toute personne a droit à un procès équitable, c’est-dire
à voir sa cause examinée dans la contraction des arguments. Ici, la
procureure a refusé d’ouvrir le moindre débat alors que deux hautes
autorités institutionnelles s’adressaient à elle.
Ces autorités l’ont fait dans les plus grandes difficultés,
c’est-à-dire pendant des bombardements qui les obligeaient à la
clandestinité. Cet appel à la justice incarnait l’esprit de résistance à
la violence. Leurs bureaux avaient été bombardés et les victimes
tombaient chaque jour : pour la procureure, c’était un problème mineur.
Cela montre, aux yeux du grand public, des dysfonctionnements majeurs
dans ce que doit être la justice internationale.
Si elle continue comme ça, la CPI va devenir la Cour pénale de l’injustice, et elle périra. Elle est déjà très malade.
On dit que le Hamas s’opposerait à la procédure de crainte de faire l’objet de poursuites ?
C’est entièrement faux. De longue date, ces responsables politiques
demandent que la CPI soit saisie. Ils assument pleinement la manière
dont ils conduisent la Résistance armée pour la protection du peuple
palestinien, un peuple qui fait face à l’occupation militaire et à un
blocus illégal. Ils ne redoutent aucune enquête, et au contraire la
demandent, car elle sera conduite dans le respect de la procédure
internationale, et visera les deux parties au conflit. Le vrai chiffre
du bilan, c’est 85% de victimes civiles… C’est ça la marque du crime.
Les puissances occidentales ne peuvent supporter cette démarche du
Hamas – appeler à la justice internationale et au procès équitable –
car elle fait s’écrouler toute l’analyse du « Hamas terroriste
islamiste ». Sur le plan technique, le Hamas invoque l’article 31.d du
statut sur la légitime défense et l’état de nécessité. Mais sur le plan
fondamental, le constat est simple : le Hamas en appelle à la CPI, alors
qu’Israël la rejette. C’est là la base pour une vraie analyse… Qui
redoute l’intervention du juge ? Pourquoi ?
4
Que faire pour régulariser ?
La procédure peut être régularisée par la remise au greffe de la Cour
d’une déclaration de compétence fondée sur l’article 12.3 du statut.
C’est un texte de trois lignes et une démarche simple, qui peut être
faite par un simple fax. Cela donnerait immédiatement compétence à la
Cour. Or, c’est urgent, car il faut constater maintenant les preuves des
crimes, et donner un signal fort à Israël.
L’autre solution est la signature du traité, puis la ratification. Le
consensus politique existe désormais, c’est un processus plus long.
Aussi, il faut signer le traité et rependre cette déclaration de
compétence, pour assurer la compétence rétroactive de la Cour à compter
de 2002. Face à un argumentaire au niveau, la Procureure devra revenir
sur son analyse, qui ne tient pas en droit. Si elle bloque, il suffira
d’une nouvelle déclaration, pour lever cet obstacle, et aller à
l’essentiel : l’ouverture de l’enquête et la recherche des preuves.
On lit parfois que le combat est perdu d’avance car le droit international est l’outil des grandes puissances…
De fait, le bilan de la CPI n’est pas franchement glorieux…. Ceci
dit, notre devoir n’est pas de nous lamenter, mais d’utiliser au mieux
la connaissance juridique, d’être à l’avant-garde des procédures pour
détruire patiemment, pièce après pièce, les remparts de l’injustice.
Pourtant le combat du peuple palestinien pour vivre sa souveraineté n’a jamais pu compter sur le droit international et l’ONU.
C’est exact. Depuis 1947, le Conseil de sécurité est le calvaire de
la Palestine. Pendant des années, le droit international n’a été qu’un
instrument de domination. C’était l’achèvement raffiné du rapport de
force : d’abord, les tanks et l’aviation ; ensuite, la loi, qui était
celle du plus fort.
Le Conseil de sécurité est la représentation de ce droit des plus
forts. Totalement non-représentatif du monde de 2014, phraseur et
velléitaire, toxicomane au double standard. Il est en état de faillite,
et la preuve de sa faillite a un nom : la Palestine.
Pourquoi cela changerait-il ?
On s’était aussi habitué à invoquer le droit international pour
dénoncer l’injustice. Désormais, les temps changent. C’est difficile,
pas toujours visible, mais le fait est incontestable : le droit
international devient un outil que l’on peut retourner contre les
puissants.
Cela se construit par étape, avec constance, initiative et lucidité.
Et les petits coups tordus qui marquent les procédures, même s’ils font
mal sur le moment, sont dérisoires au regard de la force qu’est l’appel à
la justice.
5
Que peuvent faire les citoyens ?
Les pétitions sont très utiles. A ce jour, nous savons combattre les
obstacles juridiques. Les freins qui restent sont politiques, et les
politiques sont sensibles à la pression de l’opinion.
Il va falloir aussi engager des actions contre les dirigeants
occidentaux, qui font pression sur la Palestine pour ne pas donner
compétence à la Cour pénale internationale.
Les dirigeants palestiniens évoquent ces pressions, et chacun peut
constater qu’il n’y a aucune déclaration de responsables politiques
occidentaux pour soutenir l’action de la Palestine vers la justice
internationale. Pour eux, le droit est un discours, mais leur politique
est celle de l’oppression. C’est inacceptable de la part des Etats
européens, qui sont tous membres de la CPI. Il faut donc lancer un
mouvement pour interroger l’ensemble des responsables politiques et des
parlementaires sur cette attitude, qui est scandaleuse.
M° Gilles DEVERS, 9 août 2014
Source :
http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr
CAPJPO-EuroPalestine
Frédéric BERGER