Centre
Français de Recherche sur le
Renseignement
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INTERVENTION
EN SYRIE :
LA
RECHERCHE D’UN PRÉTEXTE A TOUT PRIX
Eric
Denécé
AVIS de la rédaction de l'Echo des Montagnes:
Ce
texte reprend, pour partie, des
analyses produites par Alain Chouet,
Alain Corvez et Alain Rodier, tous
trois
anciens officiers du renseignement français.
La
coalition réunissant les Etats-‐Unis,
le Royaume Uni, la France, la
Turquie,
l’Arabie
saoudite et le Qatar vient
de franchir un nouveau pas dans
sa volonté
d’intervenir
en Syrie afin de renverser
le régime de Bachar El-‐Assad.
Utilisant ses
énormes
moyens de communication, elle
vient de lancer une vaste campagne
d’intoxication
de l’opinion internationale afin
de la convaincre que Damas a
utilisé
l’arme
chimique contre son peuple,
commettant ainsi un véritable crime
contre
l’humanité
et méritant « d’être puni
».
Aucune
preuve sérieuse n’a été
présentée à l’appui de ces
affirmations. Au
contraire,
de nombreux éléments conduisent à
penser que ce sont les rebelles
qui ont
utilisé
ces armes. Ces mensonges médiatiques
et politiques ne sont que des
prétextes. Ils
rappellent
les tristes souvenirs du Kosovo
(1999), d’Irak (2003) et de Libye
(2010) et
ont
pour but de justifier une
intervention militaire afin de renverser
un régime laïque,
jugé
hostile par les Etats-‐Unis
-‐ car allié de l’Iran et
ennemi d’Israël -‐ et impie
par les
monarchies
wahhabites d’Arabie saoudite et du
Qatar. Il est particulièrement affligeant
de
voir la France participer à une
telle mascarade.
La
falsification des faits
Depuis
deux ans, des informations très
contradictoires et souvent fausses
parviennent
en Europe sur ce qui se passe
actuellement en Syrie. Il est ainsi
difficile de
comprendre
quelle est la situation exacte dans
ce pays. Certes, le régime syrien
n’est pas
un
modèle démocratique, mais tout est
mis en œuvre par ses adversaires
afin de noircir
le
tableau, dans le but d’assurer
le soutien de l’opinion internationale
à l’opposition
extérieure
et de justifier les mesures prises
à son encontre, dans l’espoir
d’accélérer sa
chute.
Cette
falsification des faits dissimule
systématiquement à l’opinion mondiale
les
éléments
favorables au régime :
-‐
le soutien qu’une grande partie de
la population syrienne -‐
principalement les sunnites
modérés
et les minorités (chrétiens,
druzes, chiites, kurdes) -‐
continue d’apporter à
Bachar
El-‐Assad, car elle préfère de
loin le régime actuel – parfois
par défaut -‐ au chaos
et à
l’instauration de l’islam radical ;
-‐
le fait que l’opposition intérieure,
historique et démocratique, a clairement
fait le choix
d’une
transition négociée et qu’elle est,
de ce fait, ignorée par les
pays occidentaux ;
-‐
la solidité militaire du régime
: aucune défection majeure n’a
été observée dans
l’armée,
les services de sécurité, l’administration
et le corps diplomatique et Damas
est
toujours
capable d’organiser des manœuvres
militaires majeures ;
-‐
son large soutien international. L’alliance
avec la Russie, la Chine, l’Iran
et le Hezbollah
libanais
ne s’est pas fissurée et la
majorité des Etats du monde s’est
déclarée opposée à
des
frappes militaires, apportant son soutien
total aux deux membres permanents du
Conseil
de Sécurité de l’ONU -‐
Russie et Chine -‐ qui
ont clairement indiqué qu’ils
n’autoriseraient
pas une action armée contre
la Syrie. Rappelons également que
le
régime
syrien n’a été à ce jour
l’objet d’aucune condamnation internationale
formelle et
demeure
à la tête d’un Etat membre à
part entière de la communauté
internationale ;
-‐
le refus délibéré des Occidentaux,
de leurs alliés et de la
rébellion de parvenir à une
solution
négociée. En effet, tout a été
fait pour radicaliser les positions
des ultras de
Damas
en posant comme préalable le départ
sans condition du président Bachar.
Au
contraire, l’opposition extérieure, dont
on cherche à nous faire croire
qu’elle
est
LA solution, ne dispose d’aucune
légitimité et demeure très éloignée
des idéaux
démocratiques
qu’elle prétend promouvoir, en raison
de ses options idéologiques très
influencées
par l’islam radical.
De
plus, la rébellion syrienne est
fragmentée entre :
-‐
une opposition politique extérieure
groupée autour des Frères musulmans,
essentiellement
contrôlée par le Qatar et la
Turquie ;
-‐
une « Armée syrienne libre »
(ASL), composée d'officiers et d'hommes
de troupe qui
ont
déserté vers la Turquie et qui
se trouvent, pour la plupart,
consignés dans des camps
militaires
faute d’avoir donné des gages
d'islamisme suffisants au parti islamiste
turc
AKP.
Son action militaire est insignifiante
;
-‐
des combattants étrangers, salafistes, qui
constituent sa frange la plus active
et la plus
violente,
financés et soutenus par les
Occidentaux, la Turquie, le Qatar
et l’Arabie
saoudite.
Ainsi,
la Syrie connaît, depuis deux
ans, une situation de guerre
civile et des
affrontements
sans merci. Comme dans tous les
conflits, les victimes collatérales des
combats
sont nombreuses, ainsi que les
atrocités. Toutefois, les grands médias
internationaux
qui donnent le ton – qui
appartiennent tous aux pays hostiles à
la Syrie -‐
cherchent
à donner l’impression que les
exactions, massacres et meurtres sont
exclusivement
le fait du régime et de son
armée.
Si
certaines milices fidèles au régime
ont commis des exactions, cela ne
saurait en
aucun
cas dissimuler les innombrables crimes
de guerre qui sont chaque jour,
depuis
deux,
ans l’œuvre de la rébellion, et
dont sont victimes la population
syrienne fidèle au
régime,
les minorités religieuses et les
forces de sécurité. Ce fait est
systématique passé
sous
silence. Pire, les nombreux actes
de barbarie des djihadistes soutenus
par
l’Occident,
la Turquie et les monarchies
wahhabites sont même souvent attribués
au
régime
lui-‐même, pour le décrédibiliser
davantage.
L’Observatoire
syrien des droits de l’Homme
(OSDH), principale source des
médias
sur les victimes de la «
répression », est une structure
totalement inféodée à la
rébellion,
crée par les Frères musulmans
à Londres. Les informations qu’il
diffuse
relèvent
de la pure propagande et n’ont
donc aucune valeur ni objectivité.
S’y référer est
erroné
et illustre l’ignorance crasse ou de
la désinformation délibérée des médias.
Enfin,
face à ce Mainstream médiatique
tentant de faire croire que le
Bien est du
côté
de la rébellion et de ses
alliés afin d’emporter l’adhésion
de l’opinion, toute
tentative
de vouloir rétablir un minimum
d’objectivité au sujet de ce
conflit est
immédiatement
assimilée à la défense du régime.
Les
objectifs véritables d’une intervention
en Syrie
Dès
lors, on est en droit de
s’interroger sur les raisons réelles
de cet acharnement
contre
Bachar Al-‐Assad et d’en rechercher
les enjeux inavoués. Il en existe
au moins
trois
:
-‐
casser l’alliance de la Syrie
avec l’Iran ; le dossier
iranien conditionne largement la
gestion
internationale de la crise syrienne.
En effet, depuis trois décennies,
Damas est
l’allié
de l’Iran, pays phare de
« l’axe du mal » décrété
par Washington, que les
Américains
cherchent à affaiblir par tous les
moyens, tant en raison de son
programme
nucléaire,
de son soutien au Hezbollah
libanais, que de son influence
régionale
grandissante
;
-‐
rompre « l’axe chiite » qui
relie Damas, Bagdad, Téhéran et le
Hezbollah, qui est une
source
de profonde inquiétude pour les
monarchies du Golfe qui sont, ne
l’oublions pas,
des
régimes autocratiques et qui abritent
d’importantes minorités chiites. Ainsi,
Ryad et
Doha
ont désigné le régime iranien comme
l’ennemi à abattre. Elles veulent
la chute du
régime
syrien anti-‐wahhabite et pro-‐russe,
afin de transformer la Syrie en
base arrière
pour
reconquérir l’Irak -‐ majoritairement
chiite -‐ et déstabiliser l’Iran.
Elles cherchent
aussi
à liquider le Hezbollah libanais.
En cela, leur agenda se confond
avec celui de
Washington
;
-‐
détruire les fondements de
l’Etat-‐nation laïc syrien pour
le remplacer par un régime
islamiste.
Cela signifie livrer Damas aux forces
wahhabites et salafistes favorables aux
pétromonarchies
du Golfe, ce qui signifie l’éclatement
du pays en plusieurs entités en
guerre
entre elles ou, pire,
l’asservissement voire le massacre des
minorités non
sunnites.
Ces
objectifs non avoués n’ont pas été
jusqu’ici atteints et ne le seront
pas tant
qu’existera
le soutien sino-‐russe et tant
que l’axe Damas-‐Téhéran ne se
disloquera pas.
Le
faux prétexte des armes chimiques
Face à
la résistance de l’Etat syrien et
de ses soutiens, la coalition
américano-‐
wahhabite
a décidé d’employer les grands
moyens afin de faire basculer
l’opinion et de
justifier
une intervention militaire : accuser
Damas de recourir aux armes chimiques
contre
sa propre population.
Une
première tentative a été entreprise
en avril dernier. Malheureusement,
l’enquête
des inspecteurs de l’ONU a révélé
que l’usage d’armes chimiques était
le fait de
la
rébellion. Ce rapport n’allant pas
dans le sens que souhaitait la
coalition américano-‐
wahhabite,
il a été immédiatement enterré.
Seul le courage de Carla del
Ponte a permis
de
révéler le pot aux roses. Notons
cependant que les « médias qui
donnent le ton » se
sont
empressés de ne pas lui accorder
l’accès à leur antenne et que
cette enquête a été
largement
passée sous silence.
Les
événements du 21 août dernier
semblent clairement relever de la
même
logique.
Une nouvelle fois, de nombreux
éléments conduisent à penser qu'il
s'agit d'un
montage
total, d’une nouvelle campagne
de grande envergure pour déstabiliser
le
régime
:
-‐
le bombardement a eu lieu dans
la banlieue de Damas, à quelques
kilomètres du palais
présidentiel.
Or, nous savons tous que les gaz
sont volatils et auraient pu atteindre
celui-‐
ci.
L'armée syrienne n'aurait jamais fait
cela sauf à vouloir liquider son
président !
-‐
les vecteurs utilisés, présentés par
la presse, ne ressemblent à aucun
missile en service
dans
l’armée syrienne, ni même à aucun
modèle connu. Cela pourrait confirmer
leur
origine
artisanale, donc terroriste ;
-‐
de plus, des inspecteurs de l'ONU
étaient alors présents à Damas et
disposaient des
moyens
d’enquête adéquats pour confondre
immédiatement le régime ;
-‐
les vidéos présentées ne prouvent
rien, certaines sont même de
grossières mises en
scène
;
-‐
enfin, le régime, qui reconquiert peu
à peu les zones tenues par la
rébellion, savait
pertinemment
que l’emploi d’armes chimiques
était une « ligne rouge »
à ne pas
franchir,
car cela déclencherait immédiatement une
intervention militaire occidentale.
Dès
lors, pourquoi aurait-‐il pris in
tel risque ?
Aucune
preuve sérieuse n’a été présentée
à l’appui la « culpabilité »
de l’armée
syrienne.
Au contraire, tout conduit à penser
que ce sont les rebelles qui
ont utilisé ces
armes,
car contrairement à ce qui
est avancé par la note
déclassifiée publiée par le
gouvernement
français, les capacités chimiques des
terroristes sont avérées :
-‐
en Irak (d’où proviennent une
partie des djihadistes de la
rébellion syrienne), les
autorités
ont démantelé début juin 2013 une
cellule d’Al-‐Qaida qui préparait
des armes
chimiques.
Trois laboratoires ont été trouvés
à Bagdad et dans ses environs
avec des
produits
précurseurs et des modes opératoires
de fabrication de gaz sarin et
moutarde ;
-‐
en Syrie, le Front Al-‐Nosra
est suspecté avoir lancé des
attaques au chlore en mars
2013
qui auraient causé la mort de
26 Syriens dont 16 militaires ;
-‐
pour sa part, Al-‐Qaida a
procédé en 2007 une douzaine
d’attaques du même type à
Bagdad
et dans les provinces d’Anbar et
de Diyala, ce qui a causé la
mort de 32 Irakiens
et en
a blessé 600 autres. En 2002,
des vidéos montrant des expérimentations
d’armes
chimiques
sur des chiens ont été trouvées
dans le camp de Darunta, près
de la ville de
Jalalabad,
en Afghanistan.
Les
errements de la politique étrangère
française
A
l’occasion cet imbroglio politico-‐médiatique
dans lequel ses intérêts
stratégiques
ne sont pas en jeu, le
gouvernement français mène une
politique
incompréhensible
pour nos concitoyens comme pour
l’étranger.
Depuis
deux ans, la France, par le
biais de ses services spéciaux,
– comme
d’ailleurs
les Américains, les Britanniques et
les Turcs – entraîne les rebelles
syriens et
leur
fournit une assistance logistique et
technique, laissant l’Arabie saoudite et
le Qatar
les
approvisionner en armes et en
munitions.
Ainsi,
la situation syrienne place la
France devant ses contradictions. Nous
luttons
contre les djihadistes au Mali, après
les avoir aidés à prendre le
pouvoir à Tripoli
-‐
en raison de l’intervention inconsidérée
de l’OTAN en Libye, en 2011,
dans laquelle
Paris
a joué un rôle clé -‐
et continuons de les soutenir en
Syrie, en dépit du bon sens.
Certes
le régime de Bachar Al-‐Assad
n’est pas un modèle de démocratie
et il servait
clairement
les intérêts de la minorité
alaouite, mais il est infiniment plus
« libéral » que
les
monarchies wahhabites : la Syrie est
un Etat laïque où la liberté
religieuse existe et
où
le statut de la femme est
respecté. De plus, il convient de
rappeler que Damas a
participé
activement à la lutte contre
Al-‐Qaïda depuis 2002. Pourtant,
nous continuons
d’être
alliés à l’Arabie saoudite et au
Qatar, deux Etats parmi les plus
réactionnaires du
monde
arabo-‐musulman, qui, après avoir
engendré et appuyé Ben Laden,
soutiennent
les
groupes salafistes partout dans le
monde, y compris dans nos
banlieues. Certes,
notre
soutien aux agendas saoudien et qatari
se nourrit sans nul doute de
l’espoir de
quelques
contrats d’armement ou pétroliers, ou
de prêts financiers pour résoudre
une
crise
que nos gouvernants semblent incapables
de juguler.
Une
question mérite donc d’être posée
: la France a-‐t-‐elle encore
une politique
étrangère
ou fait-‐elle celle du Qatar,
de l’Arabie saoudite et des
Etats-‐Unis ? Depuis la
présidence
de Nicolas Sarkozy la France aligne
ses positions internationales sur celles
des
Etats-‐Unis et a perdu, de ce
fait, l’énorme capital de sympathie
que la politique du
général
de Gaulle -‐ non ingérence
dans les affaires intérieures des
Etats et défense du
droit
des peuples à disposer d’eux-‐mêmes
-‐ lui avait constitué.
Si
les élections de mai 2012 ont
amené un nouveau président, la
politique
étrangère
n’a pas changé. En fait, nous
observons depuis plusieurs années la
conversion
progressive
d’une partie des élites françaises
-‐ de droite comme de
gauche -‐ aux thèses
néoconservatrices
américaines : supériorité de l’Occident,
néocolonialisme, ordre moral,
apologie
de l’emploi de la force …
Surtout,
un fait nouveau doit être mis
en lumière : la tentative maladroite
des
plus
hautes autorités de l’Etat de
manipuler la production des services
de
renseignement
afin d’influer sur l’opinion publique
et de provoquer un vote favorable
des
parlementaires. Ce type de manœuvre
avait été conduit par Washington et
Londres
afin
de justifier l’invasion de l’Irak
en 2003, avant d’être dénoncé.
Onze ans plus tard, le
gouvernement
recourt au même artifice grossier
et éculé pour justifier ses
choix
diplomatiques
et militaires. Compte tenu de la
faiblesse des arguments présentés dans
la
note gouvernementale – qui n’est
pas, rappelons-‐le, une note des
services –, celle-‐ci ne
sera
d’aucune influence sur la presse et
l’opinion. En revanche, par sa
présentation, elle
contribue
à décrédibiliser le travail des
services de renseignement, manipulés à
leur
insu
dans cette affaire.
Le
mépris des politiques français à
l’égard des services est connu.
Est-‐ce un
hasard
si cette affaire survient alors que
l’actuel ministre des Affaires étrangères
est
celui-‐là
même qui, en 1985, alors qu’il
était chef du gouvernement, a fort
élégamment
«
ouvert le parapluie », clamant son
absence de responsabilité à l’occasion
de l’affaire du
Rainbow
Warrior ?
Une
chose au moins est sûre : une
remise à plat de notre position
à l’égard de la
Syrie
et de notre politique étrangère
s’impose, car « errare humanum
est, perseverare
diabolicum
».
Eric
Denécé
Septembre
2013
Lire aussi l'article du Général DELAWARE, paru dans la Nouvelle République d'ALGER:
cliquez sur:
https://mail.google.com/mail/#inbox/14117b6657347d1d
et sur:
Frédéric BERGER